é d i t o
Printemps 19
Que peuvent l’art et les artistes quand la course du monde s’accélère ? Lorsque chacun est conscient qu’un mur ou qu’un précipice se profile au bout de cette course, que peuvent les scènes et les théâtres ? Que pouvons-nous apporter que n’apportent pas les médias, la science, les réseaux sociaux, les services sociaux, les ONG, la recherche, l’hôpital, les associations citoyennes ou le politique ? Sommes-nous démunis, nous, arpenteur teuse s des arts de la scène, sans prise sur les dégâts irréparables commis contre notre seul abri, la terre, contre le progrès social et contre enfin cet esprit de fraternité si difficile à atteindre ? Que pouvons-nous si ce n’est de convoquer inlassablement dans un souffle de communion, les ombres qui guettent et continuer de les nommer par le geste, l’image, le mouvement et le mot. Poursuivre le travail de nous raconter, de tendre des miroirs déformants et de confondre l’absurde. Continuer de rassembler des citoyen ne s dans le noir d’une salle pour offrir en partage idées et émotions. C’est ce que nous faisons depuis des siècles avec comme arme la beauté du corps humain, ses vibrations, sa force et ses blessures. Nous ne pouvons que cela et cela nous questionne au quotidien, parce que parfois nous pensons que ce n’est pas assez.
Alain Cofino Gomez
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Automne 18
Gnothi seauton !
L’identité est cette base solide à partir de laquelle on peut rencontrer l’autre, l’altérité. Sans cette construction faite de bric et de broc propre à chacun, point de rencontres et pas de progrès. « Connais-toi toi-même », disaient les Grecs et les Romains penseurs et quidams, croyants et athées, anciens et modernes mêlés dans cette co-réflexion millénaire sur le préambule à la rencontre universelle.
Mais l’identité est aussi ce piège de l’esprit qui veut fixer de façon radicale les limites du bon et du mauvais. L’identité est cette arme dont usent certaines factions politiques pour engranger les adhésions utiles à l’accession au pouvoir.
D’un côté nécessaires et de l’autre dangereuses, les faces de l’identité sont contradictoires. Elles autorisent la rencontre avec la différence et dans le même temps l’interdisent ou en proposent une version hiérarchisée ou apeurée au point de susciter inégalité et violence.
Cette tension aiguë est inscrite dans notre époque et la traverse au quotidien pour le meilleur et pour le pire. Les actualités en parlent sans discontinuer et les artistes en sont bien évidemment les porte-paroles, les porte-gestes, les porte-pensées...
À chacune de leur création, ils questionnent, chacun à leur façon, cette opportunité de l’identité, son trouble et sa dangerosité. C’est que l’art se prête bien à cet exercice puisqu’il parvient à éprouver les limites du concept en lui imposant le poétique, le fictionnel et la création. Alors l’identité se révèle, multiple et riche, complexe et mobile. Sans négliger sa part sombre et douloureuse, l’art impose à l’identité de s’exprimer dans ce qu’elle a de plus singulier pour que naissent des formes, des personnages, des figures et du mouvement.
Proverbe populaire ou parole de sages, « Gnothi seauton » l’inscription en grec ancien (Connais-toi toi-même.) Vraisemblablement gravée sur le fronton du temple de Delphes, invitait à l’humilité et à la sagesse. S’il était imprimé à l’entrée du Théâtre des Doms, ce proverbe devrait nous convoquer à l’extraordinaire et à la découverte d’une identité en mouvement, devenu un outil complexe et jouissif d’émancipation et de progrès.
Parce que l’art est essentiellement politique et même lorsqu’il nous semble égotique ou abscons ou lorsqu’il prétend nous divertir (du fondamental), il réussit à ébranler nos certitudes et à nous déplacer.
Dès lors, toute organisation citoyenne qui se veut du bien, devrait ouvrir ses frontières et se prescrire des espace/temps d’expression artistique, ceci, afin d’échapper à l’épidémie de sclérose identitaire qui menace.
Alain Cofino Gomez